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Work in progress

La première fois que j’ai rencontré Karim Miské (auteur et documentariste), c’était à un dîner chez mon amie Naïri Nahapétian, journaliste et romancière, il y a sept ans de cela. Karim me parle alors du Work in progress ou comment permettre à des auteur.e.s de sortir de leur solitude en lisant des extraits de leurs textes non publiés et non finalisés (d’où le nom). Cette idée, il l’a eue avec une amie à lui, Sonia Rolley, journaliste et auteure également. Et c’est d’abord au Pitch me, un restaurant africain de la capitale, que tous les quinze jours environ des auteur.e.s de tout âge, de toutes origines, partagent leurs écrits (fiction, essais, poésie…) et recueillent les commentaires des personnes présentes (souvent des habitué.e.s). Le tout dans une grande bienveillance. C’est ce que m’explique Karim lors du dîner et il m’invite à lire quelques pages du Chat qui ne pouvait pas tourner. À l’époque, la proposition m’apparaît terrifiante. Casser cette intimité entre les personnages que j’ai créés et moi me semble incongru. La « peur » aussi que ça ne plaise pas m’amène à refuser l’invitation. Trop tôt. 

Un an après, je me lance pourtant… Je lis le premier chapitre et une partie du deuxième de mon manuscrit. Des ami.e.s sont venu.e.s me soutenir dans ce moment important : pour la première fois, des inconnu.e.s vont rencontrer Sterling, mon héros, et sa bande. Le petit cocon que j’ai formé autour de leurs aventures va se rompre…

Je garde de cette première lecture un merveilleux souvenir. D’une part, ce que m’avait dit Karim est totalement vrai : l’assistance est bienveillante, les questions posées (sur les sources d’inspiration, le choix du genre, etc.) sont pertinentes – et nourrissent des réflexions intéressantes sur son texte – et l’ambiance générale est très sympathique. D’autre part, ce passage de l’intime au public a décuplé mon envie de finir le livre et de le proposer à des éditeurs. La suite, on la connaît : des refus nombreux, deux autres polars écrits et au bout du compte la rencontre avec les Arènes !

Six ans après avoir lu un extrait de mon premier roman, je suis retournée au Work in progress (qui a depuis déménagé dans un autre restaurant africain : le Petit Dakar) pour partager le début de mon quatrième polar. Même si l’eau a coulé sous les ponts, ce moment reste unique, comme une parenthèse dans cette aventure si particulière qu’est l’écriture d’un livre. Ou comment l’incursion d’autres visions, d’autres références dans ce dialogue singulier entre soi et son texte rendait possible un pas de côté salutaire, l’aération d’un espace mental forcément confiné.

J’invite tous les auteur.e.s, en herbe ou pas, de tenter l’expérience. Pour soi et pour les formidables rencontres (avec d’autres écrivain.e.s et d’autres textes) qu’on peut y faire. On en ressort gonflé à bloc. Avec l’envie de lire et de se remettre au travail…