Les dénis de la République
Je travaille avec les centres sociaux depuis plus de trois ans. J’ai découvert un réseau passionnant, des acteurs de proximité (ô combien !), mais aussi des inventeurs d’outils pédagogiques pour créer du débat, développer le pouvoir d’agir, inclure dans les instances de décision le plus de personnes possibles. Un réseau qui a l’éducation populaire au cœur et la volonté d’agir et d’innover sans omettre de mener une réflexion constante sur ses actions !
Une initiative parmi d’autres : la création d’un Réseau jeunes national, qui rassemble chaque année depuis dix ans des adolescents fréquentant des centres sociaux aux quatre coins de la France. Le concept : les réunir durant cinq jours autour d’une thématique – choisie par eux – dont ils vont s’emparer. L’an dernier, c’était l’écologie. Pour l’édition 2020, qui s’est déroulée du 19 au 23 octobre à Poitiers, les jeunes, au nombre de 130, ont voulu échanger autour des religions et de la laïcité. Un sujet brûlant que l’actualité – la décapitation d’un enseignant – a rendu encore plus sensible.
La fédération nationale des centres sociaux m’avait demandé de couvrir l’évènement en rédigeant un article par jour, du mardi au jeudi, aidée par des jeunes volontaires. Le fruit de ce travail est en lien ci-dessous. Une immersion passionnante au sein de ce groupe de jeunes qui a pris à cœur de débattre en respectant les croyances (ou les non croyances) de chacun. Ils ont appris des uns des autres, témoigné de leurs souffrances quand ils évoquent les discriminations dont ils sont victimes en tant que personnes de couleur et/ou de confession musulmane et formulé des propositions pour mieux vivre leur religion. Ce faisant, ils ont levé le voile sur une part d’intimité, mis en confiance par l’écoute et la bienveillance dont toutes et tous ont fait preuve.
Le jeudi matin, après trois jours de travail intensif, ils devaient échanger avec « les officiels », des élus locaux, mais aussi la secrétaire d’État en charge de la jeunesse et de l’engagement, Sarah El Haïry. Face à des récits poignants sur le racisme ordinaire émanant des forces de l’ordre, d’enseignants, de camarades de classe ou de passants se permettant d’insulter des jeunes filles voilées, la secrétaire d’État a répondu : valeurs de la République, neutralité des enseignants, soutien aux forces de l’ordre et « unité », incarnée par une Marseillaise qu’elle a voulu entonner devant des jeunes stupéfaits dont les propositions ont été balayées d’un revers de main sans autre forme de procès. Un dialogue de sourd insupportable face à une jeunesse qui souhaitait avant tout ouvrir un débat, être entendue et se positionner en acteur de la société. Ce déni de considération a suscité de la colère et de la désillusion chez les jeunes. On les comprend. Une rencontre que les élus locaux et les représentants des centres sociaux ont tenté de « sauver » en faisant preuve d’empathie et de respect pour le travail fourni.
Il ne s’agit pas ici de dire que les propositions de ces 130 jeunes peuvent toutes être prises en considération. Certaines m’ont même choquée, comme l’interdiction du blasphème et la limitation de la liberté d’expression. D’autres, en revanche, sont à méditer (voir articles). Mais, pour le moins, ouvrons le débat sur un sujet tabou, qui ne fait que renforcer les tensions et les incompréhensions (sur la laïcité par exemple). Créons des espaces de rencontre dans les écoles ou les associations sur ces thématiques pour donner aux jeunes l’image d’une France ouverte qui n’a pas peur du dialogue. Loin, très loin, de l’attitude d’un membre du gouvernement d’une République « indivisible » !
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