Le mystère du journalisme jaune

Mercredi soir à Pantin, je suis allée voir pour la troisième fois la conférence gesticulée de mon ami Philippe Merlant : « Le mystère du journalisme jaune ». Une conférence gesticulée est un outil d’éducation populaire, qui vise à transmettre des connaissances et concepts de manière simple et vivante en mêlant des « savoirs froids » (enquêtes, analyses sociologiques, historiques et politiques…) et des « savoirs chauds » (tirés de l’expérience personnelle du/de la conférencier.e). Voilà pour le concept. Celle de Philippe porte sur la critique des médias. Durant deux heures drôles, émouvantes, inspirantes, il évoque aussi bien son parcours de journaliste, profession qu’il exerce depuis quarante ans, que ses réflexions sur la bulle médiatique. Qui l’a créée ? Dans quel but ? Comment la percer ? 

J’ai eu la chance de croiser la route de Philippe alors que je débutais ma carrière. Nous étions en 1995, j’avais 26 ans et je ne m’étais pas encore spécialisée dans un domaine particulier. Cette rencontre va être décisive. Je vais très rapidement intégrer la petite équipe qui sous son impulsion et celle de Yan de Kerorguen et de Guy-Patrick Azémar est sur le point de lancer un magazine citoyen et un site Internet dédié aux initiatives de la société civile, Place Publique. J’en deviendrai même la rédactrice en chef durant onze ans. Outre cette formidable opportunité, Philippe m’a permis de me professionnaliser dans ma pratique journalistique – je n’ai pas fait d’école – et de découvrir un champ d’investigation qui deviendra le fil rouge de ma carrière. Depuis près de vingt-cinq ans, je rencontre des citoyens et des citoyennes qui tentent de rendre cette société plus juste, plus solidaire, plus démocratique. Ils ou elles ne sont pas toujours irréprochables – la gestion du pouvoir dans le monde associatif est un vrai sujet – et échouent parfois à faire bouger les lignes, mais j’ai très souvent été bluffée par leur inventivité, leur dynamisme et leurs résultats sur le terrain. Des rencontres qui sont autant d’antidotes contre le fatalisme et la résignation, l’un des objectifs de Place Publique. Et l’une des critiques majeures que nous développions à l’endroit des médias traditionnels. 

Avec l’équipe de Place Publique, nous avons également tenté de trouver des outils pour ne pas laisser aux seuls journalistes le pouvoir d’informer (les réseaux sociaux n’existaient pas encore). Mais, nous accompagnions ce partage de nos colonnes de formations à l’écriture journalistique et de participations à des conférences de rédaction ouvertes où nous pouvions discuter des angles, des personnes à contacter, etc. Philippe l’évoque dans sa conférence, rendant ainsi hommage à cette formidable aventure humaine et journalistique que fut la création d’un média citoyen. 

C’est aussi grâce à Philippe que je suis devenue journaliste en résidence à Epinay et Stains, deux villes de Seine-Saint-Denis, un territoire que j’arpente depuis mes débuts à Place Publique. Et je partage avec Philippe cette conviction que faire de l’éducation aux médias, accompagner des projets de journaux ou de blogs de proximité dans les quartiers nous redonne une place d’acteur de la démocratie. Car la bulle médiatique génère des dérives graves pour notre profession, sans que celle-ci soit prompte à mener une véritable remise en cause. Mais sommes-nous les seuls fautifs ? A cette question, Philippe répond de façon nuancée et complexe, renvoyant chacun(e) – y compris le public – à sa part de responsabilité.

Pour autant, à la fin de son « spectacle », Philippe réaffirme son amour du métier, les raisons pour lesquelles il l’a choisi. Il rend aussi hommage à celles et ceux qui lui ont donné et lui donnent encore ses lettres de noblesse. 

Je pourrai à la marge regretter que les réseaux sociaux ne soient pas assez abordés ou que la paresse intellectuelle – associée au manque de temps – fasse des dégâts énormes au sein de la profession, plus peut-être que la connivence ou la malhonnêteté. 

Reste, « Le mystère du journalisme jaune » est un spectacle nécessaire. Et plus que jamais utile dans une société qui a mal à sa presse. 

Pour en savoir plus : https://lemysteredujournalismejaune.org